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Visibilité lesbienne au travail: «Encore du chemin à parcourir»

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Selon une enquête de l’association l’Autre cercle, en partenariat avec l’Ifop, plus d’une femme lesbienne sur deux a déjà été victime d’une forme de discrimination ou d’agression au cours de sa carrière. La moitié des sondées disent ne pas faire état de leur orientation sexuelle en milieu professionnel, une situation le plus souvent subie.
par Virginie Ballet
publié le 10 mai 2022 à 18h53

Il pourrait s’agir de la «première enquête menée en France» sur ce sujet, selon François Kraus, responsable du pôle genre et sexualité au sein de l’Ifop. «La plupart des enquêtes sur l’homophobie concernent plutôt les gays et, donc, plutôt les hommes. C’est négliger les mécanismes d’exclusion spécifiques aux femmes lesbiennes, au croisement du sexisme et de la lesbophobie», a-t-il estimé ce mardi en présentant les résultats d’une vaste enquête quantitative sur l’inclusion des femmes lesbiennes au travail (1). Le projet, baptisé «Voilat» pour «Visibilité ou invisibilité des lesbiennes au travail», a été mené en partenariat avec l’Autre cercle, association qui œuvre pour l’inclusion LGBT+ en milieu professionnel. Il en ressort que plus d’une femme lesbienne ou bisexuelle sur deux interrogée (53%) a déjà été victime d’au moins une forme de discrimination ou d’agression en raison de son orientation sexuelle au cours de sa carrière. «Ce pourcentage augmente drastiquement pour celles travaillant dans des secteurs masculinisés, à l’instar de l’industrie (57%) et des transports (58%)», alerte l’étude. 41% des victimes ont fait état de moqueries, et un tiers (32%) d’insultes ou d’injures à caractère diffamatoire. Ce qui n’est évidemment pas sans avoir un impact «lourd» sur leur carrière : 34% d’entre elles sont allées jusqu’à quitter leur entreprise pour ces raisons. Sans parler de l’impact psychologique, bien présent lui aussi : plus de la moitié des victimes de ce type d’agissements interrogées ont dit avoir été en proie à de l’anxiété, voire un état dépressif. Dans 45% des cas, cette situation a même engendré des pensées suicidaires chez les victimes.

«Une série de renoncements»

L’étude s’est aussi attachée à tenter de déterminer si les femmes lesbiennes faisaient état ou non de leur orientation sexuelle en milieu professionnel. En somme, de mesurer leur «visibilité». Bilan ? Moins de la moitié des sondées (40%) s’affichent auprès de leurs collègues, et un tiers seulement auprès de leur supérieur hiérarchique direct. Ce qui en soi ne poserait pas spécialement question s’il s’agissait d’une situation choisie pour toutes. Or, à en croire Flora Baumlin, directrice d’études à l’Ifop, le fait de ne pas en parler est «très souvent subi plus que choisi». Ainsi, à celles qui ne disent rien de leur orientation sexuelle sur leur lieu de travail a été posée la question de savoir si elles souhaiteraient qu’il en soit autrement. Plus de la moitié d’entre elles (53%) ont répondu qu’elles «pourraient en avoir envie», auprès de collègues au même niveau hiérarchique. «Ces données montrent qu’il reste du chemin à parcourir pour que cette visibilité ne soit plus du tout un sujet en entreprise», estime Flora Baumlin. Interrogées sur les leviers qui pourraient permettre un environnement plus favorable, 61% des interrogées ont cité la présence de collègues lesbiennes ou bi visibles, et 59% la garantie d’un environnement de travail favorable.

Dans les faits, pour celles qui préfèrent ne rien dire, la situation se manifeste avant tout par «une série de renoncements» : 41% des interrogées ont par exemple déjà évité de se rendre à un événement où les conjoints sont conviés. Pis, pour certaines, cela peut conduire à une perte de droits : 34% ont déjà renoncé aux jours de congé octroyés après un Pacs, et 33% à un congé parental après l’accouchement de leur conjointe. «Des chiffres énormes et terrifiants, qui illustrent le coût psychologique et social que peut engendrer cette non-visibilité», s’alarme Sylvie Meisel, administratrice nationale de l’Autre cercle et coresponsable du projet Voilat. Elle-même a attendu l’âge de 45 ans et un changement de poste pour faire de son orientation sexuelle un «non-sujet», après avoir été «la reine de l’esquive». Aujourd’hui conseillère médicale âgée de 63 ans, elle assure avoir pris conscience du «poids» qu’avait engendré cette «autocensure» : «A titre personnel, j’observe qu’il est plus facile d’être visible que de déployer une énergie dingue à fuir les questions», dit-elle.

«Double plafond de verre»

En parallèle de l’enquête quantitative confiée à l’institut de sondage, l’association a aussi mené une enquête qualitative auprès de 88 femmes, via des questionnaires envoyés à leurs adhérentes ou à des proches, pour recueillir leur vécu et illustrer les données recueillies. Les répondantes ont notamment exprimé la peur d’une «double discrimination», comme un «double plafond de verre». «Le sexisme reste la première source de discrimination dans le monde professionnel. Il reste difficile d’évoluer quand on est une femme et, pour certaines, demeure la crainte qu’être une femme lesbienne ne rende les choses encore plus compliquées», relate Sylvie Meisel. Ces travaux devraient désormais servir à l’Autre cercle pour élaborer un guide à destination des quelque 174 entreprises signataires de sa charte d’engagement LGBT+, d’ici à la fin de l’année, pour «faire en sorte que celles qui veulent devenir visibles puissent le faire sans crainte».

Dans son dernier rapport, l’association SOS Homophobie faisait quant à elle état de 215 cas d’agressions lesbophobes qui lui avaient été rapportées en 2021. Dans 10% des cas, elles avaient eu lieu dans un contexte de travail. 2% des victimes ont tout bonnement été licenciées, en toute illégalité. Les auteurs de discrimination sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre sont passibles de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende.

(1) Enquête menée sur un échantillon de 1 402 femmes lesbiennes ou bisexuelles exerçant une activité professionnelle, extrait d’un échantillon représentatif de 2 431 femmes homosexuelles et bisexuelles âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine. Menée par questionnaire auto-administré en ligne du 9 novembre 2021 au 25 janvier 2022.

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