Intimidation: le cri du cœur d’une mère de Gatineau

 Annick Dinelle, la mère de la petite AnnSofy 

Une mère de Gatineau lance un cri du cœur pour que des ressources en santé mentale soient plus accessibles aux jeunes. Son enfant, AnnSofy, qui aurait été victime d’intimidation et de préjugés, s’est enlevée la vie le 9 mars dernier. L'enfant avait dix ans.


«Elle avait tellement de joie de vivre, cette enfant-là. Mais elle avait aussi de la douleur», a raconté Annick Dinelle au Droit, la voix chevrotante et les yeux dans l’eau. «Je pense que ‘’difficile’’, ce n’est même pas le mot. Je pense qu’il n’existe pas de mot dans le vocabulaire pour dire la peine et la douleur qu’on vit à l’intérieur.»

 AnnSofy, dix ans, vivait avec un mal-être identitaire ou sexuel selon sa mère. «Elle voulait être Alex. On ne savait pas si c’était Alex gars, ou Alex fille. Elle disait haut et fort qu’elle était trans, elle disait aussi parfois qu’elle était lesbienne. Nous on lui avait dit peu importe, on va t’aimer. On va aimer tes choix.»  

Alex avait d’ailleurs décidé de couper ses longs cheveux blonds très courts et aimait parfois se vêtir différemment des autres, ce qui lui a valu d'être victime d'intimidation, a expliqué sa mère. 

Selon Mme Dinelle, ce qui a poussé son enfant à commettre l’irréparable la semaine dernière est une accumulation de plusieurs facteurs, dont l’intimidation et la pandémie, qui a aussi été difficile sur son moral. Elle ne veut toutefois pas que son décès soit catégorisé sous une seule raison. «C’est ce qu’on ne veut pas pour AnnSofy. Ce sont plusieurs éléments. On n'aura peut-être jamais la réponse en entier. [...] Les petits cailloux sur ses épaules sont devenus une masse.» 

Mais la mère déplore surtout le manque de ressources auxquelles son enfant a eu accès. Des intervenants scolaires, des intervenants de l’Outaouais ou encore des Laurentides, puisque la fillette fréquentait une école primaire anglophone de Lachute, où vit son père, un médecin et l’entourage familial n’ont pas suffi. «Un intervenant scolaire pour 300 élèves, ce n’est pas assez. [...] L’école a fait beaucoup ce qui était possible pour eux, mais avec les ressources qu’elle a. [...] Jamais je ne vais mettre le blâme sur quelqu’un en particulier, mais j’aimerais que ça change. C’est sûr qu’on ne pourra jamais [s’assurer] que tous les services soient là. Mais j’ai quand même une autre fille de trois ans qui va rentrer à l’école dans deux ans. J'aimerais que les choses aient changé avant.» »

Pénurie criante de psychologues 

Différents facteurs peuvent mener à des comportements suicidaires, selon le président de l’Association des psychologues du Québec, Gaëtan Roussy. «Même si on ne peut pas associer une cause à un comportement suicidaire, il ne faut pas s'empêcher de discuter de ce qui a pu amener un comportement suicidaire, parce que c'est une façon de prévenir le suicide. [...] C'est sûr que l'intimidation à l'école est un facteur majeur de comportements suicidaires, de façon directe ou indirecte. [...] Ce n'est pas une bonne chose de tenter trop vite d'expliquer un comportement suicidaire, par contre, c'est important d'en discuter et de reconnaître que certains facteurs qui, indéniablement, peuvent jouer un rôle important dans des comportements suicidaires éventuels, comme l'intimidation.»

Selon M. Roussy, le réseau public présente un manque à gagner d’environ 500 psychologues dans le réseau de santé publique au Québec. Il y a aussi une liste d'attente d'environ 20 000 personnes pour des services en santé mentale, a-t-il affirmé. «La pénurie de psychologues est dénoncée depuis longtemps. Dans le réseau scolaire aussi scolaire, c'est très difficile. [...] Il y a une série de raisons qui font en sorte que les services adéquats pour aider les personnes souvent ne sont même pas accessibles. Quand un psychologue voit un jeune patient, il est souvent obligé de faire ça en quelques rencontres. Il y a un cadre très précis. C'est pour ça que c'est quand même extrêmement difficile d'avoir de l'aide et d'avoir de l'aide régulièrement. [...] Ce n'est pas le manque de compétence des intervenants, c'est autre chose. C'est une perte du lien, une perte du suivi. C'est comme si, trop souvent, il y a des suivis en santé mentale qui, pour toutes sortes de raisons, souvent administratives, sont interrompus. Et c'est ça à moment donné qui se trouve être un des facteurs qui peuvent amener des comportements suicidaires. Mais on ne peut pas conclure trop vite, bien entendu.  Mais c'est un des éléments dont il faut parler comme société. Si on veut prévenir le suicide, il faut prendre les moyens [nécessaires].»


Une vigile en mémoire d'Alex aura lieu mercredi soir devant le domicile de Mme Dinelle.

Vigile

Pour Annick Dinelle, le seul baume sur son cœur est de savoir que certains organes d'Alex ont pu être donnés au cours des dernières heures. «Ça nous permet de commencer un peu plus à cheminer, même si c’est presque impossible de passer par-dessus. Le fait qu’elle vit au travers de quelqu’un d’autre. Ça peut être l’enfant de quelqu’un, la sœur de quelqu’un. On est un peu plus en paix.» 

Une vigile en mémoire d’Alex est prévue devant le domicile de Mme Dinelle mercredi soir, rue Laflamme, à 18h30. Les gens sont invités à venir se recueillir, à venir laisser des ballons de baudruche s’envoler et à venir déposer toutous et pensées, en mémoire de l''enfant. Une campagne de sociofinancement a également été lancée afin de soutenir la famille et les dépenses liées aux funérailles, entre autres. «Notre message, c’est vraiment que si un parent doute que son enfant ait été ou soit encore intimidé à l’école, tapez du pied, frappez à toutes les portes, exigez [des services]. [...] Autant que nous on a de la douleur, autant qu’on veut s’assurer que d’autres parents ne [vivent] pas cette douleur-là.»

Vous ou vos proches avez besoin d’aide ? N’hésitez pas à appeler au 1-866-APPELLE (277-3553), ou encore Tel-Aide Outaouais (819-775-3223) à Gatineau et 613-741-6433 à Ottawa). Du côté d’Ottawa, vous pouvez aussi appeler la ligne de crise en santé mentale d’Ottawa en composant le 613-722-6914. Vous pouvez également consulter le site commentparlerdusuicide.com.