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Ces Africains LGBT qui demandent l’asile en France pour fuir les persécutions : « Si on me renvoie dans mon pays, c’est la mort »

Pour ces exilés, souvent traumatisés par de terribles violences, exposer son orientation sexuelle devant l’administration française reste une épreuve douloureuse.

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Publié le 23 mars 2022 à 18h00, modifié le 24 mars 2022 à 16h46

Temps de Lecture 6 min.

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Dans la ville du Cap, en Afrique du Sud, lors de la Gay Pride, le 26 février 2022.

Le 8 novembre 2017 est une date que Mamadi n’est pas près d’oublier. Ce jour-là, la vie du jeune Sénégalais (qui a souhaité conserver l’anonymat comme toutes les personnes citées par un prénom dans cet article) a basculé. « Mon copain était venu me rendre visite chez mon père. Quand nous sommes allés dans ma chambre, nous avons oublié de fermer la porte à clef. Une des femmes de mon père est venue nous chercher pour dîner, et nous a surpris en train de nous embrasser », raconte Mamadi, aujourd’hui âgé de 25 ans et demandeur d’asile en France.

Le père du jeune homme est un marabout très respecté dans son village, situé dans l’ouest du Sénégal. Ce soir-là, les cris de sa belle-mère ameutent les fidèles, qui rattrapent les deux garçons dans leur fuite. Ils sont roués de coups de poing, de pied, de bâton. « Moi qui suis fort, j’ai rendu coup pour coup. Mais mon copain est plus frêle, ils lui ont brisé les os, cassé des phalanges, fendu le crâne.  »

Le couple s’en tire in extremis et trouve refuge à Dakar, où ils survivent dans la clandestinité. Jusqu’au jour où Mamadi croise par hasard un fidèle de son père, en visite dans la capitale : « Il m’a dit que mon père avait ordonné aux hommes de mon village de me traquer et de me tuer, pour laver sa honte d’avoir un fils homosexuel. Lui ne voulait pas se salir les mains, mais je devais fuir avant qu’un autre me trouve. J’avais mis un peu d’argent de côté, j’ai décidé de quitter le pays pour sauver ma vie. »

Comme lui, des centaines de personnes homosexuelles, bisexuelles ou transgenres demandent l’asile en France chaque année. L’Ardhis, la principale association d’aide aux demandeurs d’asile LGBT, a accompagné depuis 2005 plus de 5 000 exilés originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, en particulier de RDC, de Côte d’Ivoire, du Mali et du Sénégal.

« On n’arrive pas à prouver ce qu’on est »

Actuellement, 40 pays du continent n’offrent pas de protection juridique aux personnes LGBT, 27 pays répriment l’homosexualité, et quatre la punissent de mort. Le 20 février, une manifestation était organisée à Dakar, à l’appel d’associations traditionalistes, pour réclamer le renforcement de l’arsenal juridique contre l’homosexualité. Les vidéos des slogans homophobes brandis par les manifestants ont fait le tour des réseaux sociaux.

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« La médiatisation est nouvelle, mais pas la réalité de l’homophobie sur le continent, réagit Fanny Raybaud, bénévole depuis quatre ans à l’Ardhis. Ce genre d’événement vient corroborer des récits qu’on entend depuis des années chez les demandeurs d’asile. » Si toutes les trajectoires sont uniques, les récits de ces demandeurs d’asile présentent souvent des similitudes.

« L’obligation sociale de maintenir une apparence d’hétérosexualité, jusqu’au mariage, arrangé ou forcé, avec des viols conjugaux, les histoires d’amour vécues en secret, la peur constante d’être découvert…, énumère Fanny Raybaud. Et quand cela se produit, les représailles immédiates, les violences, les lynchages. En RDC, on entend beaucoup de cas de séquestrations et de “viols correctifs”. »

Des milliers de personnes ont manifesté, le 20 février 2022 à Dakar, pour exiger des mesures plus repressives contre l’homosexualité, considérée comme un déli au Sénégal. Après le rejet par le Parlement d’un projet d’amendement prévoyant le durcissement de la loi, le drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT, a été brûlé place de la Nation.

Cette formule sinistre désigne les viols collectifs orchestrés dans des pays conservateurs pour « corriger » l’homosexualité féminine. C’est ce qui est arrivé à Milaine Pinzi Keni, tombée amoureuse de la fille d’un dignitaire de l’armée congolaise, le général Georges Kibonge. « Quand il l’a su, il m’a fait enlever par ses hommes, raconte-t-elle quatre ans plus tard, le regard dur sous ses tresses. Ils m’ont séquestrée pendant trois jours dans un centre de l’armée. Ils m’ont torturée et ils m’ont dit : “Maintenant, on va te montrer comment une femme doit se comporter.” Puis ils m’ont violée.  »

Libérée après que sa mère a versé une lourde rançon à ses geôliers, Milaine craint d’être à nouveau rattrapée et gagne clandestinement la France. Après une longue année de misère, sans logement fixe, elle accepte les avances d’un homme qui lui propose des relations sexuelles contre de l’argent. Quand elle passe son audition à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) à l’été 2020, elle est enceinte de six mois. Sa demande est rejetée et ses démarches se soldent par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Elle tente désormais d’élever son fils d’un an et demi à Melun, où elle est hébergée par une amie, en attendant de pouvoir déposer un recours.

« On attend d’eux un récit clair, cohérent, circonstancié, daté et détaillé, résume la juriste Cornélia Mary, qui a été deux ans rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Or on a souvent affaire à des personnes profondément traumatisées, à qui on demande de revivre, parfois pour la quatrième ou la cinquième fois, des situations extrêmement douloureuses. » A cela s’ajoute la culpabilité intériorisée d’une sexualité perçue comme contre-nature et anti-africaine.

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« C’est très difficile de dire aux juges, aux assistantes sociales, même aux bénévoles, que je suis lesbienne, témoigne Kourtney, une Gabonaise de 32 ans qui a fui Libreville en septembre 2018 avec sa compagne à la suite d’un « viol correctif ». J’ai peur, j’ai honte. Même à l’Ofpra, les mots ne voulaient pas sortir de ma bouche. On n’arrive pas à dire qui nous sommes, à prouver ce qu’on est.  »

Corps « défiguré »

Après un premier rejet de sa demande d’asile, la jeune femme a fait une tentative de suicide. « Si on me renvoie au Gabon, c’est la mort de toute façon. Autant éviter aux autres de se salir les mains. » Son recours à la CNDA a finalement été accepté en avril 2021, en même temps que celui de sa compagne Dalia, avec laquelle elle vit aujourd’hui à Amiens. Il lui a fallu produire des preuves des violences subies, montrer les certificats médicaux de l’hôpital d’Athènes où elle est restée un mois pour soigner ses plaies infectées, exhiber les cicatrices sur son corps « défiguré ».

Pour certains, le processus peut durer deux à trois ans et se terminer avec une OQTF. D’autres, comme Bilal, obtiennent l’asile en quelques mois. Le jeune Algérien de 28 ans a les traits délicats et un phrasé d’intellectuel. Ses mains s’animent lorsqu’il parle de politique, il a fait campagne pour Sandrine Rousseau, candidate à la primaire d’Europe Ecologie-les Verts (EELV). Il sirote son café à l’une des terrasses du jardin du Palais-Royal, dans le 1er arrondissement de Paris. « Je suis médecin, en couple avec un galeriste chez qui je vis, je m’exprime bien en français. Pour l’administration, je cochais toutes les cases, reconnaît-il. Je suppose que c’est pour ça que mon dossier est passé facilement ! »

Tout juste sa voix s’enroue-t-elle légèrement quand il évoque la violente réaction de sa mère, l’été dernier, après qu’il lui a révélé au téléphone son homosexualité. « Ça a été des cris, des insultes, des larmes. Elle m’a dit que je couvrais la famille de honte, que je devrais changer mon nom. Elle m’appelait tous les jours pour me dire qu’elle allait se suicider et envoyer ses neveux à Paris pour me tuer. » Déposée en août 2021, sa demande d’asile est acceptée en mars 2022.

« J’ai conscience d’avoir eu beaucoup de chance », dit encore Bilal. Il devrait bientôt décrocher un poste de stagiaire associé dans un hôpital parisien. Ses amarres sont désormais coupées avec son pays natal : l’Ofpra a récupéré ses papiers algériens. Bilal n’exclut pas de se marier et prendre le nom de son ami, « ce serait un joli pied de nez à ma mère », glisse-t-il dans un sourire. Son regard se perd dans la grisaille parisienne. « Bien sûr que le soleil de mon pays me manque. Mais ici, je peux tenir la main de mon copain dans la rue. Et cette liberté, elle n’a pas de prix. »

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