Retraites : le coup de force de Macron

Retraites : le « pink bloc » veut réconcilier luttes LGBTQI+ et luttes sociales

Samedi 11 février, le « pink bloc » sera à nouveau présent dans la manifestation parisienne. Derrière son succès dans les mobilisations, des collectifs et associations dénoncent une réforme des retraites « particulièrement néfaste » pour les personnes LGBTQI+. 

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« Trans, gouines, tapettes, en grève pour les retraites ! Trans, gouines, pédales, pour la grève générale ! » Dans la manifestation parisienne du mardi 7 février, plusieurs centaines de personnes défilent dans un cortège coloré et festif : bienvenue dans le « pink bloc », le cortège LGBTQI+ de la mobilisation contre la réforme des retraites.

Drapeaux LGBT, drapeaux trans et grandes couvertures de survie dorées survolent l’avant du cortège. Devant, on porte fièrement les mots d’ordre de la lutte : sur une banderole, on lit : « Marre de simuler nos retraites, on veut en jouir ! », accompagné d’un marteau et d’une faucille aux couleurs de l’arc-en-ciel. À côté, sur une autre : « Gouines, fières, vénères et révolutionnaires »

« Ça nous rassure de manifester avec des personnes queers, c’est un espace safe [sans danger – ndlr] », expliquent Raphaël et Laurine, 23 ans, en deuxième année de master en mathématiques à la Sorbonne. Ils ont découvert l’existence du « pink bloc » sur les réseaux sociaux et ont décidé de venir manifester dans ce cortège pour des raisons politiques : « Être queer, ça ajoute des discriminations. Et comme la Gay Pride s’est dépolitisée, c’est ici qu’on voulait venir. »

À quelques mètres, Morgane, travailleuse sociale et mère lesbienne d’une quarantaine d’années, ne mâche pas ses mots : « Je suis vénère. Les LGBT sont précarisés, les femmes aussi, à cause des inégalités de salaire, du travail gratuit qu’on fournit et des interruptions de carrière. Donc c’est primordial d’être ici pour visibiliser les femmes, les lesbiennes et les autres minorités. » Pour Mia, 31 ans, le « pink bloc » est le symbole d’une dynamique plus large : « Avant, le mouvement LGBT n’était pas aussi visible. Là, on sent qu’il y a quelque chose qui se passe. »

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Le « pink bloc » dans la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, le 7 février 2023. © Photo Célia Mebroukine / Mediapart

Le 17 janvier, 146 personnalités et organisations LGBTQI+ avaient signé la tribune « Pour une retraite radieuse des LGBTI » lancée par les Inverti·e·s, un des collectifs organisateurs du cortège, pour s’opposer à la réforme des retraites présentée par le gouvernement. Cette tribune soulignait que cette réforme serait « particulièrement néfaste pour les LGBTI, car [ils sont] plus vulnérables que le reste de la population face à la vieillesse ».

Pour Al, membre du collectif Queers parlons travail (QPT), qui participe également au « pink bloc », cette vulnérabilité est liée notamment à des trajectoires de carrière plus complexes pour les LGBTQI+. « La réforme va nuire aux personnes qui ont des carrières hachées et donc aux personnes queers. On a des carrières qui sont marquées par nos transitions de genre, par des discriminations, voire par une fuite du salariat pour ne plus subir le sexisme, l’homophobie et la transphobie sur nos lieux de travail, expose-t-il. Nous n’avons donc pas de carrières complètes. La majorité des personnes queers travaillent également dans le social, l’éducatif ou l’associatif, qui sont des métiers très féminisés, moins bien rémunérés, parfois à temps partiel. Nos pensions en seront diminuées d’autant. »

Autre type de soutien auquel les personnes LGBTQI+ ont moins accès : la solidarité intergénérationnelle. « Le grand âge est souvent synonyme d’isolement et nous sommes beaucoup à ne pas avoir de soutien à cette étape de nos vies, à cause du potentiel rejet des familles où nous sommes né·es mais aussi de la privation du droit de créer nos propres familles », explique la tribune lancée par les Inverti·e·s.

Pour Al, de Queers parlons travail, la logique va même plus loin : « De nombreuses personnes queers ne cherchent pas à reproduire les modèles familiaux hétérosexuels. Elles n’auront probablement pas d’enfant et donc pas de filet de sécurité non plus à l’heure de leur retraite. »

Invités à l’Assemblée

Un argumentaire qui fait mouche. Le 31 janvier, les Inverti·e·s annonçaient « le plus gros “pink bloc” de l’histoire » après une mobilisation record dans toute la France. Car l’histoire du « pink bloc » n’a pas commencé avec la mobilisation actuelle contre la réforme des retraites. On en recensait déjà un en 2010, là aussi contre une réforme des retraites (qui avait décalé l’âge légal de départ de 60 à 62 ans). Puis en 2016 contre la loi Travail, en soutien des « gilets jaunes » en 2018, mais aussi contre la première mouture de la réforme des retraites présentée par le gouvernement d’Édouard Philippe en 2019-2020, stoppée par la crise du Covid. 

Cette visibilité leur a ouvert les portes de l’Assemblée nationale : les Inverti·e·s, Act Up et l’InterLGBT ont été invités à une audition par des parlementaires de gauche pour discuter de l’impact de la réforme sur les personnes LGBTQI+. « Nous, on est révolutionnaires, donc on ne pense pas que ça se joue à l’Assemblée, explique Mimosa, membre des Inverti·e·s. Mais c’est une victoire parce que c’est la première fois qu’on peut dire qu’il y a un problème avec les retraites pour les LGBTI. » 

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Morgane, mère lesbienne et « vénère » contre la réforme des retraites à Paris, le 7 février 2023. © Photo Célia Mebroukine / Mediapart

Mais avant la mobilisation contre cette réforme, « le mouvement LGBTI, c’étaient beaucoup de divisions, explique Mimosa. Notre objectif, c’est d’arrêter ces divisions et chercher la convergence des luttes. Car les LGBTI ne sont pas des bourgeois, ce sont des travailleurs et des travailleuses. Le succès du “pink bloc” montre que les personnes LGBTI sont dans les mobilisations, qu’elles y viennent à partir du moment où on leur fait une place ». 

« On se sent concernés par les luttes sociales car le capitalisme, le patriarcat, l’homophobie, la transphobie sont des systèmes de domination qui fonctionnent ensemble, ajoute Raya, militante de Fièr·e·s, une association féministe lesbienne. Le “pink bloc” est un lieu où on peut lutter sur un terrain qui nous est propre, avec nos priorités politiques, mais toujours en lien avec les autres luttes sociales. »

Pour toutes les organisations participantes, il est temps de cesser de séparer luttes LGBTQI+ et luttes sociales. « La victoire des travailleurs, c’est notre victoire à nous. On en a marre que les luttes LGBTI soient des “à-côtés”. Le mouvement ouvrier n’est pas homophobe ou transphobe en lui-même, mais il considère souvent ces luttes comme idéologiques et pas comme une question sociale. Alors que nous, on pense que l’émancipation des LGBTI, c’est l’émancipation de l’ensemble de la classe ouvrière ! », prêche Mimosa, des Inverti·e·s. 

Manque de statistiques, et de représentation

Une question se pose dans le cortège LGBTQI+ comme dans le mouvement global : une fois qu’on a manifesté, on fait quoi ? « Les manifs, ça ne fait pas tout, considère Al, de Queers parlons travail. Ça ne sert à rien de multiplier les dates de manifestation si on ne fait pas le travail de mobilisation. » Alors ces collectifs multiplient les réunions d’information, les projections-débats et les assemblées générales. 

Quelques jours avant la manifestation du 7 février, rendez-vous était donné par les Inverti·e·s dans un café lesbien de l’est parisien pour une réunion d’information « sur les retraites, la grève et la révolution aussi ! ». « Notre but, c’est de rendre accessible cet argumentaire contre la réforme et faire en sorte que les personnes queers se sentent légitimes à en parler et à se mobiliser », explique Al. Une cinquantaine de personnes écoutent dans un silence sérieux les interventions des militant·es. Sur scène, on rappelle les arguments de base – « il faut casser le mythe de l’ouvrier blanc à moustache et en bleu de travail, nous sommes aussi les prolétaires ! » – mais aussi les spécificités des revendications LGBTI face à la réforme des retraites. 

Les militant·es expliquent les difficultés des personnes trans à faire valoir les trimestres travaillés sous leur nom d’avant leur transition, la difficulté pour les mères lesbiennes d’avoir accès à la PMA (procréation médicalement assistée) et donc à un soutien financier potentiel de leurs enfants au moment de la retraite, la question des personnes atteintes par le VIH qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite ou encore celle de l’exclusion de 30 % des personnes trans du marché du travail et qui sont donc condamnées au minimum vieillesse.

On a subi six mois de violence pour le mariage pour tous alors qu’en vingt jours, ils vont pouvoir voler deux ans à nos darons et nos daronnes !

Un membre du collectif Les Inverti·e·s

Itzel, membre du collectif des Inverti·e·s, tente aussi de sensibiliser l’assistance à un obstacle plus global qui brouille la visibilité des militants et militantes LGBTQI+ : « On n’a pas de statistiques pour analyser les effets de la réforme sur notre communauté et on n’a pas non plus de représentation de ce que c’est d’être vieux et LGBTI. Pour pallier ça, il faut se retrouver, se rassembler, témoigner et imaginer collectivement et positivement ce que ça peut être. » 

Puis on parle des questions pratiques : comment et pourquoi se mettre en grève ? « Vous n’avez pas besoin de prévenir votre employeur avant de faire grève, il n’a pas le droit de vous sanctionner, même si vous n’êtes pas syndiqué », résume Al, de Queers parlons travail.

On insiste aussi sur ce qui est considéré comme une absurdité, pour mieux convaincre de ne pas se limiter à une « grève par procuration » : « On a subi six mois de violence pour le mariage pour tous alors qu’en vingt jours, ils vont pouvoir voler deux ans à nos darons et nos daronnes, s’emporte sur scène un des membres des Inverti·e·s. Ils ne s’arrêteront jamais tant qu’on ne les arrêtera pas ! »

Dans l’assistance, plusieurs participent à leur toute première réunion politique. « J’ai envie de me politiser car je ne suis pas d’accord avec cette réforme ni avec ce gouvernement, raconte Camille, 22 ans, étudiante en sciences politiques. Et en tant que LGBTI, on a une place à prendre dans cette lutte commune. » Comme elle, d’autres pensent à rejoindre un des collectifs du « pink bloc ».

La mobilisation contre la réforme des retraites, un nouveau souffle pour le militantisme LGBTQI+ ? « Depuis le début de la mobilisation, on a recruté de nouveaux et nouvelles membres, des personnes qui ne militaient pas et qui ne manifestaient pas, raconte Raya, de Fièr·e·s. On a une visibilité de plus en plus importante, on sort enfin d’un entre-soi militant et politisé pour devenir un espace de rassemblement plus large. »

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