Le Temps: Comment est né ce colloque?
Lynn Bertholet: Il est né d’un constat: contrairement à ce que l’on pourrait penser, le système médical suisse n’est pas du tout efficient pour assurer la santé des personnes trans, que ce soit pour les soins qui relèvent de leur transition ou pour les soins généraux, en dehors du parcours de transition. Ces personnes reçoivent des soins de mauvaise qualité.
Dre Melissa Dominicé Dao: Les professionnels de santé sont peu ou pas formés à la santé des personnes transgenres. Beaucoup ne savent même pas ce qu’est la transidentité ou la non-binarité. Ils ne sont pas à l’aise avec la terminologie, ils ne connaissent pas ce qu’est un parcours de transition avec l’ensemble des différentes options médicales possibles. Epicène a fait un travail remarquable pour mettre en place ce colloque et inviter des experts nationaux et internationaux afin de traiter de sujets de santé et de société autour de la transidentité.
Pouvez-vous nous parler des inégalités en matière de soin dont pâtissent les personnes trans?
Lynn Bertholet: Dans le domaine de la chirurgie de réassignation, la situation est dramatique, en l’absence d’obligation de formation spécifique et de personnel infirmier formé au suivi postopératoire, et d'un nombre insuffisant d’opérations réalisées par un chirurgien. Pour cette raison, les personnes transgenres aisées se font opérer à l’étranger. En outre, les médecins connaissent mal les interactions des médicaments qu’ils prescrivent avec les hormones prises par les personnes trans.
Dre Melissa Dominicé Dao: En tant que médecin qui soigne des personnes transgenres, je constate des inéquités en matière de santé les concernant. Elles ont un moins bon accès aux soins, sont davantage à risque de maladies cardiovasculaires et de problèmes de santé mentale, ou davantage exposées au VIH ainsi qu’à des usages problématiques de substances.
Lire également: Transidentité: les vertus de la lumière
Quelles sont les conséquences directes du manque de formation des médecins concernant la santé des personnes trans?
Dre Melissa Dominicé Dao: Le manque de connaissances peut aboutir à des erreurs médicales, comme soigner la cystite d’une femme transgenre qui reste porteuse d’une prostate de la même manière que l’on soignerait cette infection chez une femme cisgenre. Ou encore occulter une grossesse extra-utérine chez un homme transgenre qui a gardé son utérus et qui se présente avec des douleurs abdominales. Il y a également des manques de connaissances pour le suivi des personnes ayant fait une transition médicale, notamment en termes de dépistage et de prévention des cancers, du risque cardiovasculaire ou de l’ostéoporose. Il est donc important de former et de sensibiliser les professionnels de santé.
Vous parlez aussi de freins systémiques à l'accès à la santé…
Lynn Bertholet: Oui. Les personnes trans sont victimes de maltraitance médicale de manière assez systématique. Elles sont discriminées. Alors, faute de véritable relation de confiance avec les professionnels de santé, elles ont tendance à éviter d’avoir recours à la médecine et évitent de consulter. Elles pratiquent l’automédication, s’échangent des «bons plans» et leur santé est davantage susceptible de se dégrader. Il existe également des freins liés à certaines conditions sociales qui les exposent à davantage de problèmes de santé. Les personnes trans sont six fois plus touchées par le chômage que les personnes cisgenres par exemple. Se pose aussi la question du suivi des personnes trans vieillissantes et notamment lorsqu’elles rentrent dans les maisons pour personnes âgées.
La journée du samedi est davantage destinée au grand public, pouvez-vous nous en dire davantage?
Lynn Bertholet: Quand une personne effectue une transition de genre, c’est tout son entourage qui transitionne avec elle. Il est donc capital de pouvoir l'informer. Cette journée est importante car le soutien familial est crucial pour la santé de la personne qui transitionne. Nous parlerons des parents, mais aussi des enfants des personnes qui font une transition. Nous évoquerons aussi la question de l’autodétermination, acceptée en matière de santé chez les jeunes, excepté pour ce qui touche à la transidentité. C’est important et cela pose une vraie question éthique.
Que répondez-vous à vos détracteurs?
Lynn Bertholet: L’association mondiale des professionnels de la prise en charge des personnes transgenres (WPATH) regroupe plus de 3500 spécialistes de la médecine générale et spécialisée, de la psychiatrie, du droit, de l’anthropologie. Elle émet depuis quarante ans des recommandations de prise en charge incluant les dernières recherches sur le sujet de la transidentité. Ses dernières recommandations, la huitième version de ses standards de soins – reportées pendant plus d’un an pour mieux évaluer les raisons de la croissance du nombre de cas de jeunes trans – ont été publiées lors de son congrès annuel de fin septembre. L’approche scientifique et factuelle de ces standards représente le meilleur, voire l’unique, moyen de démonter les on-dit et autres fake news qui se répandent depuis deux ou trois ans sur la transidentité.